Concept

Couleurs.

L’idée de l’exposition Couleurs s’appuie sur l’étude de la symbiose de la peinture quasi monochrome avec l’écriture, là où l’interaction du territoire de la peinture avec l’écriture est essentielle. Entre le mot écrit et le mot lu, entre la couleur sentie et la couleur vue, entre ce qui est évoqué, vécu et nommé se crée une toute autre dimension, une autre aire, un autre espace. L’idée du cycle pictural Couleurs trouve son origine dans la fascination pour le mot écrit.
De temps à autre, j’ai envie de peindre ou de scarifier un mot. Les tags, les graffitis, qu’on rencontre dans le milieu urbain m’interrogent. On peut évoquer une sorte de traumatisme quand quelqu’un, disons un spectateur, avait abîmé un de mes tableaux psychédéliques en écrivant sur sa surface un mot. Cela m’interroge.
En cherchant les mots à écrire, j’ai commencé par No, Yes, Basta.  J’ai tenté d’arriver jusqu’à l’essentiel, qu’on ne peut pas taire. Les couleurs.

Dans son poème Voyelles, Arthur Rimbaud trouve la couleur de chaque voyelle, en créant ainsi une image surprenante, poétique et paradoxale. Chaque voyelle se transforme en un tableau coloré et intense.
L’exposition est structurée comme l’ensemble de plusieurs cycles, où un cycle est consacré à chaque couleur. Par hasard, peut-être, celui consacré au noir est le plus étendu. On pourrait le nommer – Les Œuvres noires ou Le Noir à l’extrême. L’objectif était de peindre les tableaux d’un noir très intense – comme le couvercle d’un piano à queue ou le côté d’un corbillard, comme l’écran d’un ordinateur éteint ou une tâche mate d’encre noire, comme un toit récemment goudronné ou le trou noir de l’Univers ou même l’enfer.
Dans différentes langues, les noms du noir sont fascinants, introduisant ainsi des glissements sémantiques et poétiques essentiels et ouvrant simultanément de toutes autres opportunités interprétatives. Schwarz, est-ce la même chose que Nero ou Чёрный, est-il le synonyme de Black ou de Melns? Que fait penser un tableau avec l’inscription Negro ? Et avec celui de Мéлас ou de Svart

Les œuvres blanches sont fragiles et fugaces – comme la neige ou le blanc de l’œuf fouetté.
Seuls trois tableaux sont consacrés à l’écriture Braille. Le Braille est une écriture particulière. L’alphabet est ramené à un code minimaliste, précis et sensible. Ces boutons, précis et magiques, ouvrent l’opportunité de lire les lettres, les mots, les phrases, sans les voir, mais en les touchant, les caressant. Même ceux qui n’utilisent pas le Braille s’aperçoivent immédiatement, en le voyant, de la présence d’un message codé. Le Braille est fascinant par sa beauté sensuelle et précise à a fois. Une sculpture minimaliste en relief. Chez les voyants, elle crée le désir de la caresser. C’est une contradiction majeure car les tableaux (et surtout les miens, des surfaces fragiles en nacre) ne sont pas prévus pour le toucher et les caresses, si ce n’est celle du regard.
J’aurais voulu peindre un tableau gris criant. Le gris est si varié et nuancé – du blanc, à peine gris, jusqu’à l’anthracite dramatiquement foncé, le gris des souris ou le gris de la poussière ou du brouillard.
Le bleu est la couleur le plus répandu au monde. Le Zils est-il le même que le Bleu, est-il le même que Blau, Синий ou Azul ?

Je suis passée par plusieurs reprises par les périodes rouges. Le rouge est la couleur de la révolution, du pouvoir, de la vie et du sang. Il est souvent privé de toute la profondeur et de toute la dimension de la graduation émotionnelle. Je suis séduite par la douceur des joues qui rougissent embarrassées, tout comme par la correction sévère du stylo rouge de l’instituteur, par la profondeur de la laque de garance ou par le rouge infaillible du Soleil sur le drapeau japonais.
Le vert peut être tant toxique et enivrant que nauséabond, du mauvais goût ou divertissant et ravissant. C’est une couleur qui est assez difficile à peindre.
En travaillant ainsi avec l’écriture et les couleurs plus ou moins primaires, j’ai constaté en peignant que mon intérêt se recentre vers la non-couleur, vers l’entre-deux, vers les nuances qu’on a du mal à désigner par une couleur quelconque. 
Le bleu si assombri qu’il devient le bleu foncé ou le bleu noir, ou le noir bleu. Et, à vrai dire, il n’est plus ni noir, ni bleu. Ou le rose vif, qui peut être mis en sourdine, en devenant le rose doux, le rose poudré et peut être assombri, en créant du rose vieux ou rose gris, qui devient la couleur de la poussière ou de la boue, ou le ton crépusculaire. On pourrait parler de la couleur de la pénombre, d’une journée sombre, d’une nuit blanche ou de leur charge émotionnelle et leur intensité.

Ainsi on ouvre une toute autre approche de la problématique de la peinture monochrome.  L’intensité et la précision du ton, de demi-teinte ou de la nuance.
J’aimerais le mettre en tension avec les couleurs, ou comme l’épilogue, en introduisant une toute autre, une toute nouvelle conversation.

En l’écrivant je constate que je n’arrive pas à nommer, à formuler exactement tout ce que je fais, tout ce que je mets sur les toiles. C’est bien plus que ce qu’on peut exprimer par des mots.

Barbara Gaile