L’œuvre organique de Barbara Gaile

On a l’habitude de disséquer l’art contemporain en son entier ou plus concrètement – le contemporary art en courants, en trends, y repérer les tendances, définir les conceptions et les stratégies, souligner les discours, décrire le contexte, reconnaître le conventionnalisme et faire d’autres procédés analytiques. Ce n’est que normal pour les critiques ou les historiens d’art professionnels, cela aide les spectateurs, les amateurs d’art contemporain à s’orienter dans l’espace composite de la culture artistique la plus récente.

Néanmoins, il y a des artistes dont les travaux ne se soumettent pas si facilement à une telle systématisation. Et, il faut noter, qu’il ne s’agit point d’outsiders, mais d’artistes remarquables et forts. Évidemment, Marc Rothko, Cy Twombly, Yves Klein, Agnès Martin tombent dans la catégorie des artistes abstraits, mais ce constat apporte peu pour la compréhension de leur art. Plus encore : cette désignation est tellement large qu’elle exclut plutôt leur art des trends actuels du contemporary art. Pourtant, leurs travaux ne cessent de nous fasciner et sont conçus comme les œuvres les plus remarquables de la peinture contemporaine.

Je trouve que les œuvres de Barbara Gaile s’articulent autour de différentes stratégies de l’art contemporain (telles que la field painting, la salient painting), mais, avant tout, autour de certains artistes particulièrement profonds et forts. Outre ceux que j’ai déjà mentionnés précédemment, je pourrais nommer d’autres artistes remarquables et absolument différents : Louise Bourgeois, Kaze Zemblyte, Rachel Whiteread, Mona Hatoum… Dans les œuvres de chacun d’entre eux est présente une extraordinaire suggestion qui est également inhérente aux travaux de Barbara Gaile. Elle, tout comme les artistes mentionnés, se caractérise, entre autres, par une attention aiguë portée à la technologie de la création des œuvres d’art, à la transformation du processus de création de l’œuvre dans une certaine procédure extatique, qui fait appel à une perception adéquate.

Barbara se garde des factures picturales, elle les évite, en leur préférant la texture, elle met l’accent sur l’origine lumineuse des couleurs, en gardant la valeur intrinsèque du pigment, en laissant sa « sonorité » et non pas sa matérialité. La matérialité de l’œuvre de Barbara est autre, elle est recréée – c’est la matérialité d’un corps vivant… Simultanément la question de la matérialité recule au second plan : le plus important, c’est la vie de la création de l’artiste qu’on ne peut que difficilement désigner comme un tableau dans le sens habituel. La vie et la relation avec nous – les spectateurs. La suggestion des œuvres est tellement forte que nous sommes amenés à un état de contemplation et de méditation. Les œuvres de Barbara se présentent devant les spectateurs et, en même temps, se renferment dans leur existence autonome. Pas d’expression ouverte, pas de récit. Nous contemplons, en quelque sorte, des organismes vivants, des corps avec leurs plaies cicatrisées, leurs peaux luisantes… Ce n’est plus de la salient painting ni de la still life, mais de la salient life – c’est la vie elle- même engendrée par l’artiste.

Je trouve qu’en ce moment le développement artistique de Barbara Gaile connaît un épanouissement certain. Elle cultive sa virtuosité avec une telle assurance, que l’aspect technologique de sa peinture en est particulièrement élaboré, et sa position d’artiste n’en est que plus organique. La particularité de la créativité de Gaile élargit l’espace de l’art contemporain de la Lettonie, elle crée de la valeur ajoutée par rapport à l’art mondial actuel et, sans aucun doute, elle a son public.

L.Bajanov,
critique d’art, directeur artistique du Centre National de l’art contemporain de Russie.